Avril 2005 - De tradition orale, ma grand-mère maternelle avait toujours entendu dire que son père avait des origines espagnoles. Sans autre indication. Je ne savais pas où, ni quand mes recherches me permettraient de vérifier cette mémoire. Quand un jour... un acte de mariage de 1817, indiquant la ville de naissance de l'époux : Castellar de la Frontera !

Mes recherches m'ont alors inspiré ce texte qui fut publié en avril 2005.
"Le village de la frontière.
Là-bas, au-delà de la frontière naturelle que sont les montagnes bleues des Pyrénées, il existe un petit village juché sur une crête. aux confins de l'Andalousie, à la limite du royaume de Séville se dressent de lourdes fortifications, héritées des Conquista et Reconquista. Elles abritent l'un de ses nombreux pueblos blancos, inondé de soleil, aux ruelles tortueuses qui serpentent entre les petites maisons blanchies à la chaux: Castellar de la Frontera. Tout dans ce village invite à la sérénité, à la découverte de nouveaux horizons. Du haut de ce promontoire, dressé au milieu des chênes lièges, on domine la vallée du Guadarranque, rivière aussi bleue que le ciel, aussi bleue que la mer et l'océan que l'on distingue au loin et qui se rejoignent pour former le détroit de Gibraltar. On devine, également, perdue dans les nuages, la silhouette massive du célèbre rocher du même nom. Et, là-bas, encore plus loin, par-delà ce bras de mer, les côtes africaines qui invitent à repousser les limites de notre voyage, qui nous fait rêver à d'autres horizons, à d'autres rythmes.
Mais c'est là, à Castellar de la Frontera, que s'enracine mon Histoire, l'Histoire de ma famille maternelle. C'est ici, sur cette frontière qu'est né l'arrière grand-père de ma grand-mère : Pedro Teodoro, un jour de novembre 1793. Petit garçon au teint bronzé, les cheveux drus tombant sur ton front, les yeux aussi bleus que le ciel andalou qui t'a vu naître, l'œil rieur sous des sourcils en broussailles, qui courait à travers les rues pentues, rejoindre ton père : Pedro Metero, dans les champs pierreux en contrebas du village. Avec un terrain de jeu aussi grandiose, un panorama sans limites, de quels horizons rêvais-tu ? Dans ce village qui a su garder la splendeur de son passé mauresque, tu aurais pu t'imaginer traverser le détroit pour explorer les terres africaines ou te faire moussaillon sur un navire et parcourir les mers et océans du monde ? Mais pouvais-tu imaginer la France, par-delà des montagnes que tu ne connaissais pas ?
Tes histoires et tes rêves d'enfant t'ont bien vite quitté, et t'ont confronté à la dure réalité de la vie en t'arrachant ta mère, Francesca le 19 décembre 1801 alors que tu venais tout juste de fêter tes 8 ans. 11 ans plus tard, devenu jeune homme, c'est au tour de ton père de te laisser le 12 janvier 1812, alors que ton pays est déjà depuis quelque temps dans la tourmente de la campagne d'Espagne. te restait-il alors des attaches dans ton village pour que tu le quittes, pour que tu entreprennes un périple de plusieurs milliers de kilomètres, à travers l'Espagne puis la France, bien loin du village de la frontière, loin des jeux d'ombres et de lumières de tes Sierras del Cabrito, par-delà les Pyrénées ?
As-tu suivi le Camino réal vers le nord, à l'instar de Joseph, frère de Napoléon, où les guet-apens étaient innombrables laissant tout au long de la route cadavres, carcasses de chevaux, chariots brisés ? Faisais-tu partie des 1500 espagnols qui l'accompagnaient encore et qui avaient composé son armée royale ? As-tu été guérillo, fait prisonnier et dirigé sur ordre de Napoléon dans les marais de Niort pour y être employé à leur desséchement ? Comment alors as-tu gagné ta liberté ? Peut-être tout cela tour à tour, au gré des opportunités comme beaucoup de français et d'espagnols l'ont alors fait ? Autant de questions qui restent encore, aujourd'hui, sans réponse.
Mais tu échappes pourtant à toutes ces horreurs, franchis les Pyrénées et arrives en France. Qu'est-ce qui a guidé tes pas jusqu'en son cœur, dans le département des Deux-Sèvres, dans la ville de Saint-Maixent ? Encore une question sans réponse. Là, tu rencontres une jeune femme: Elizabeth Radegonde, veuve à cause d'une autre campagne napoléonienne Outre-Rhin. Tu l'épouses un 17 juin 1817.
A Saint-Maixent, loin de ton pays, loin de l'Andalousie, tout pourrait laisser croire que tu es loin de tes racines, pourtant il n'en est rien puisque tu trouves un compatriote Jacques Furno, sergent au deuxième bataillon des fionnery espagnols en garnison dans cette ville poitevine qui de surcroît est ton beau-frère par alliance puisqu'il a épousé Marie Victoire, sœur d'Elizabeth. Il devient ton ami, témoin à ton mariage, ensemble vous prenez plaisir à évoquer dans votre langue maternelle votre Espagne natale. Lui, sa ville de Barcelone, toi, ton village de Castellar de la Frontera. Vous bercez tous deux vos enfants de vos récits plein de couleurs, plein de musiques, de soleil et de frontières lointaines qui se dessinent au fond de vos yeux pétillants.
Là, au coin d'une rue saint-maixentaise, surgit alors le rocher de Gibraltar, la mer bleu-turquoise à ses pieds, les côtes du Maroc, la silhouette de la casbah de Tanger dont tu as entendu parler enfant, les airs de flamenco réchauffent les hivers poitevins, tu racontes la récolte du liège, les ruelles blanches, le Guadarrenque aussi bleu que le ciel, l'horizon à perte de vue tout autour de toi, tout autour des tiens et qui font oublier un moment les conditions de travail à la filature.
Voilà comment, de générations en générations, même si tes histoires se sont égarées aux frontières du réel et de l'imaginaire, tu nous as transmis le village de la frontière qui t'a vu naître. Tu t'éteins doucement au matin du 27 novembre 1871, alors que tu viens de fêter tes 78 ans, loin de ton village où nous irons un jour admirer pour toi les horizons lointains."
@Elise Chagot - tous droits réservés
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