
Jean, vient mon Jean. Un siècle nous sépare. Coïncidence de nos naissances : 1880 pour toi, 1980 pour moi. J’ai l’âge que tu avais il y a un siècle. A travers ce siècle, je te tends la main mon Jean, saisis là ! Je t’extirpe de l’oubli, je t’offre la Lumière et te rend ton Honneur. Les siècles passent, la folie des Hommes persiste, ta démence à toi n’est pas honteuse ! Tu n’es pas un soldat de la honte, tu es un valeureux Poilu, tu es un Héros fait de chair et de sang, un Héros à taille Humaine. Tu es un fils : celui d’Emile et de Maria, aîné d’une fratrie de 7 enfants ; tu es un mari : celui de Jeanne que tu prénommes avec tendresse Annette ; tu es un père : celui d’Anna et de Léon.
En ce 2 août 1914, le petit Léon a 4 ans quand il te voit, sans comprendre, éteindre ta forge, rassembler sommairement quelques affaires pour rejoindre ton cantonnement dans les environs d’Angoulême….
Tu t’agenouilles devant Anna, tu prends ses petites mains entre les tiennes, elle te promet, du haut de ses 8 ans, de seconder sa mère du mieux qu’elle peut. Tu étreins Annette un long moment…
Jean, toi à la fois si fort quand ton travail t’appelle à la forge et si doux, si patient avec les chevaux. Tu leur parles doucement pour les rassurer, pour leur expliquer les soins que tu leur administres, la Folie des hommes t’arrache à ta Vie, à ton foyer, à ceux que tu aimes. Ils t’affectent à la 7ième batterie du 52ième Régiment d’Artillerie de Campagne, unité combattante.
Tu es affecté au poste de canonnier-conducteur, le même que tu occupais lors de ton service militaire en 1901/1902 dans le 34ième régiment d’artillerie.
Le régiment étant monté, tu retrouves l’odeur des chevaux, une rassurante complicité à leur contact. A la vie, à la mort.
La 7ième batterie fait partie du troisième groupe, elle se trouve sous le commandement du Lieutenant RAMEL. Elle se compose de plusieurs officiers, sous-officiers et pratiquement 150 Hommes de troupe et il y a autant de Chevaux que d’Hommes.
Tu arrives à Angoulême le jour même, d’autres hommes viennent de la Creuse comme toi, d’autres de la Corrèze, de la Haute-Vienne, de la Dordogne, du Bordelais et de la Charente. Ce sont principalement des cultivateurs.
Après quelques jours dans les cantonnements de mobilisation, les hommes, les chevaux et les voitures, fleuris par la population civile, s’embarquent sous une chaleur accablante pour une destination inconnue des hommes de troupes. Ton voyage dure deux jours, direction plein nord de l’autre côté de la France. Tu arrives en Argonne, région de forêt et d’étangs qui s’étend sur les départements de la Marne, des Ardennes et de la Meuse.
Le lendemain, soit le 9 août 1914, commencent pour toi et tes compagnons, les interminables marches d’approche. Les nouvelles de la guerre sont rares, des rumeurs circulent sur les positions des Allemands. Vous battez la campagne sans voir la moindre trace de l’ennemi. Heureusement, le vaguemestre distribue de temps à autres des lettres des familles.
Le 22 août, tu entres en Belgique et traverse la petite ville de Florenville en direction du Nord. La magnifique forêt d’Herbeumont t’entoure. Mais le bruit du canon se rapproche. A la sortie des bois tu découvres les premiers cadavres de chevaux. La puanteur de leurs corps en décomposition te saisit à la gorge, les mouches pullulent. Plusieurs avions ennemis survolent ta colonne. La guerre est là, toute proche, presque palpable.
Le 23, vous installez les batteries pour la première fois dans la région de Straimont. Vous recevez alors les premiers obus ennemis, c’est impressionnant mais heureusement pour toi et tes compagnons, ils sont mal réglés. L’ordre de repli tombe : toute l’artillerie du corps d’armée doit franchir un unique passage à niveau et faire quelques centaines de mètres sur une route en vue de l’ennemi. La population est atterrée de vous voir ainsi opérer un demi-tour ! A la sortie de Florenville, nouvelle mise en batterie avec mission de tirer sur l’ennemi qui déboucherait de la forêt. Ton régiment est au complet. Après 30 heures passées en Belgique et sans avoir tiré un seul coup de canon, vous traversez la frontière dans l’autre sens : retour en France.
Dès l’aube du 24, ton groupe prend position sur les hauteurs de Blagny et Charbeaux. Pour la première fois, la 7ième batterie ouvre le feu sur l’ennemi, vers 9 heures l’artillerie allemande arrose copieusement les pentes où tu te trouves. En début d’après-midi, elle a ajusté ses tirs et ceux-ci deviennent plus précis. Sous les balles de l’infanterie allemande, ton groupe continue à servir, avec bravoure, les canons.
A la nuit, pour le plus grand soulagement de tous, artilleurs, cavaliers et fantassins mélangés traversent la rivière La Chiers.
Le 25 août, les groupes se reconstituent et occupent plusieurs positions autour de Vaux, Malandrin, Mouzon, ils visent l’autre rive et les points probables de rassemblement de l’ennemi. Encore une fois, après avoir combattu toute la journée, ton groupe se replie à la nuit tombée. Vous franchissez la Meuse à Mouzon et bivouaquez aux Moulins du Grésil et de la Hamelle.
Le 26, malgré vos positions autour de Yoncq et vos tirs actifs toute la journée, vous ne parvenez pas à empêcher l’ennemi de franchir à son tour la Meuse.
Le 27, vous gagnez quelques positions près de Beaumont, mais le lendemain sur les hauteurs de Flaba, vous êtes pris sous le feu ennemi. Heureusement aucun blessé n’est à déplorer dans ton groupe mais l’infanterie est très éprouvée, sous tes yeux défilent un nombre considérable d’hommes blessés que l’on évacue.
Le dimanche 30 août 1914, la matinée se passe pour tous à se nettoyer et les vaguemestres distribuent des lettres. Un peu de répit, un peu de réconfort. Mais celui-ci est de courte durée ; dès l’après-midi, ton groupe, en alerte, se rend vers Ballay. Le long de l’Aisne, vos compagnons équins peuvent s’abreuver dans un décor reposant.
Dans la nuit, ton groupe prend position près du village des Alleux. Il enchaîne une journée éprouvante, riche en tirs et subit de grandes pertes. Tu as vu tes camarades tomber autour de toi, les images des corps propulsés dans les airs et qui retombent déchiquetés, sans vie, la peur d’être le prochain et continuer malgré tout. La nuit qui suit est noire et froide.
A peine reposé, le signal du départ est donné. Encore une fois, il faut battre en retraite. La ville de Vouziers est abandonnée sans combat, ses habitants fuient. Il fait une chaleur terrible et la marche continue, même de nuit. Vers minuit, enfin le bivouac à Tahure.
Le 2 septembre 1914, tout ton régiment prend position au nord de Souain. Les batteries exécutent, sur les lisières de Somme-Py, un tir jusqu’à épuisement de leurs coffres, un vrai feu roulant, les Allemands en débandade se sauvent sur les hauteurs au nord de la ville. Et pourtant la nuit venue, nouvel ordre de repli vers l’arrière….
Le lendemain, à Suiffes, où vous avez bivouaqué, vous êtes réveillés de bonne heure par les obus ennemis qui éclatent sur la ville. La longue marche vers l’arrière reprend. Ton groupe prend part à un combat dans la région de Saint-Hilaire au Temple, puis traverse Courtisols et rejoint le reste du régiment à Saint-Amand-sur-Fion. Après une courte halte et alors que tout le monde est épuisé, l’ordre de départ, toujours vers l’arrière, tombe à 22 heures. Tu dors sur ton cheval qui suit le mouvement, plus par automatisme que par une réelle conscience. Au milieu de la nuit, tu traverses Vitry-le-François. La ville est déserte, lugubre. Le roulement du matériel sur le pavé se répercute de loin en loin. Vous prenez quelques heures de repos à Frignicourt, tu y dors entre les pieds de ton cheval. Il fait pitié : son dos, emporté, saigne ; il est resté si longtemps sans que tu puisses le desceller. Ils sont tous à bout de souffle comme les Hommes qui reprennent leur longue marche vers l’arrière. Enfin, le groupe s’arrête pour bivouaquer à Margerie-Haucourt. Tu es tellement fatigué que tu ne te rends à peine compte que la marche est terminée.
En ce début septembre 1914, la fatigue est grande. Après plusieurs semaines de combat la journée, d’interminables marches de plusieurs dizaines de kilomètres, la nuit, vos officiers vous donnent lecture de l’ordre du Général Joffre : « L’heure n’est plus à regarder en arrière, il faut tenir coûte que coûte et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. »
C’est le début de la Bataille de la Marne. L’après-midi même de ce 5 septembre 1914, ton groupe quitte le bivouac de Margerie pour traverser sous le feu ennemi le village des Rivières. Le soir même, il se met en batterie près de Chatelraould.
Le 6, repéré et signalé par l’aviation ennemie, vous faites l’objet d’un fort bombardement. Malgré tout, ton groupe ne cesse de tirer et de se ravitailler en munitions. Certains de tes camarades tombent ainsi que le Lieutenant de Litardière.
Le 7, la même journée se répète. Le 8, à l’aube, les balles claquent sur les boucliers et crépitent autour de votre matériel. Pas de doute à avoir : l’ennemi a encore progressé. Pour le troisième jour consécutif et toute la journée, vous faites l’objet de tirs de démolition, précis et réglés. La 7ième batterie, la tienne, est durement atteinte. Le capitaine PAUQUINOT et le sous-lieutenant FABRE sont grièvement blessés. Les victimes sont nombreuses….
Vers la fin de l’après-midi, l’artillerie ennemie arrive sur la crête à 200 mètres de ton groupe. Ne pouvant plus tirer, les servants s’emparent de leurs mousquetons, prêts à se défendre. Par chance, l’attaque est vue de l’observatoire où se trouve le 1er groupe de votre régiment et une de ses batteries ouvre immédiatement le feu sur la menace. Il sème le désordre et l’épouvante dans les rangs de l’adversaire qui est contraint de reculer. Vous êtes saufs mais à quel prix ! A la fin de cette terrible journée, la 7ième batterie ne compte plus qu’un canon, tous les autres ont été détruits. Il ne reste plus que trois servants : Theillaud, Jeanteau et Justin. Tous les autres sont morts.
Et vous n’êtes pas au bout de vos souffrances. Le lendemain, 9 septembre 1914, une nouvelle journée terrible vous attend. Le tir parfaitement réglé de l’ennemi augmente d’intensité. C’est un enfer. Le lieutenant LEHMAN, arrivé depuis moins de vingt-quatre heures, est tué ; tué aussi l'aspirant VINCENT.
Le 11, le colonel LEPELLETIER vient prendre le commandement du régiment. Les 1er, 3e et 4e groupes sont réunis, passablement désorganisés. Chacun sait que devant lui l'Allemand a été forcé de reculer, mais il ignore à peu près tout ce qui s'est passé ailleurs.
Pendant ces derniers jours, le 3e groupe, qui est isolé, traverse La Marne, bivouaque le 11 à Saint-Amand-sur-Fion et Coulvagny. Le ravitaillement fait complètement défaut ; aussi c'est avec la plus grande joie que vous dévorez d'excellents biscuits abandonnés par l'ennemi. Le 12, à travers les bois, il se dirige vers Somme-Yèvre ; les 1er, 2e et 4e groupes, quittant Blacy, font route pour le même cantonnement ; le 4e groupe, en tête, a pour mission de protéger la marche de l'infanterie et le passage de La Marne ; il met en batterie sur la rive gauche de la Marne à 4 heures. A plusieurs reprises, le spectacle du champ de bataille se présente dans toute son horreur : cadavres d'hommes, de chevaux, fusils brisés, effets d'équipement et d'habillement déchiquetés, sacs éventrés, etc... Les bouteilles vides continuent à joncher le sol sur les routes et les talus ; c'est par milliers que vous les comptez. Dans la soirée, tout le régiment est réuni au bivouac, à Somme-Yèvre : joie de vous retrouver, douleur d'apprendre qu'un bon camarade a été tué ou blessé, récits faits à la hâte des accidents, peinture rapide des circonstances critiques dans lesquelles vous vous êtes trouvés. Bêtes et hommes sont épuisés et incapables de fournir un gros effort, après le travail écrasant des jours précédents. La nuit est passée dans la plus grande inquiétude, le crépitement de la fusillade dure toute la nuit. Par bonheur, les trains régimentaires vous rejoignent ; il est vraiment temps ! Le 13, bivouac à Saint-Mard-sur-Auve, village détruit. Sur la route, vous croisez ou dépassez de nombreux convois de prisonniers. Les chevaux sont dans un état lamentable, maigres, harassés, plus ou moins couverts de boue, ils tirent péniblement. Le 14, le régiment commence des marches dans la région de Champagne. Impossible de se faire une idée de la physionomie du pays si on n'y a pas été par ces jours pluvieux de septembre où seules les grandes routes sont praticables. Les chemins de terre sont défoncés et le sol des champs n'est pas assez résistant pour que l'on puisse les traverser avec les voitures. Le régiment est en réserve d'armée ; on le promène à droite et à gauche, Laval-sur-Tourbe, Somme-Tourbe, pays que vous traversez bien souvent. Le bivouac est établi près de Laval-sur-Tourbe, dans un marécage. Pendant le défilé des voitures, vous voyez au passage un bras sortir de terre et se dresser vers le ciel ; c'est un cadavre qui, enterré à fleur de terre, est mis à jour brusquement. Paysage macabre et triste au milieu de tous ces morts ; de la boue, de la pluie qui tombe et de la demi-obscurité.
Les voitures ont leurs coffres à peu près vides, les munitions manquent et, malgré leur charge réduite, il faut souvent des attelages de renfort pour les sortir de certains bourbiers. S'il faut recommencer la bataille, ce ne sera pas commode ; heureusement que, s'il pleut chez vous, l'ennemi n'est pas au sec et les routes dont il dispose doivent être en aussi mauvais état que les vôtres. Il paraît que l'ennemi fournit des efforts désespérés pour s'accrocher au terrain. Le 17 septembre, sous une pluie torrentielle, le régiment se met en marche pour appuyer une attaque du 17e corps d'armée près de Hurlus, où l'ennemi se serait retranché. La marche est très pénible, les voitures s'embourbent à chaque instant, les chevaux tombent ; les groupes arrivent très tard, au milieu de l'obscurité la plus complète. Les batteries ne peuvent participer à l'action ; la pluie tombe à torrents ; le sol est tellement mauvais que le colonel renonce à quitter la position la nuit de peur d'y abandonner la moitié de son matériel. La nuit se passe autour de grands feux ; gradés et canonniers viennent à tour de rôle se rôtir un peu et essaient de se sécher. Quelques-uns confectionnent une litière de fortune avec des branches de sapin, s'étendent dessus, allongent les pieds près du foyer, s'endorment et se réveillent brusquement, avec les brodequins brûlés. Vous mangez ce que vous avez : un peu de biscuit et de rares boites de conserves. La nuit est longue ; tantôt somnolant, tantôt causant, vous arrivez cependant au petit jour. Les voitures sont restées attelées toute la nuit, quelques chevaux se sont couchés tout harnachés ; ce ne sont plus que des masses informes et innommables, boueuses et dégoûtantes. Ceux qui ont pu dormir se réveillent passablement courbaturés, les branches de sapin n'ayant jamais valu un bon lit, ni même une botte de paille. Au jour, nouveau départ vers l'arrière. Défilé encore plus lamentable que la veille ; les chevaux tombent pour ne plus se relever : immédiatement enlisés, c'est tout juste s'ils ont encore la force de remuer un membre ou de lever la tête. Ces pauvres bêtes sont tellement vides et plates que les voitures roulent dessus sans s'en apercevoir : ils sont, avant leur mort, entrés dans le néant. Cette expédition d'une nuit, sans mise en batterie, n'a comme résultat que la perte pour chaque groupe d'une quarantaine de chevaux. Malgré les difficultés de la route et la fatigue générale, le régiment arrive à Suippes où il bivouaque (ferme de Piémont). Les 18 et 20, les groupes mettent en batterie dans le camp de Châlons (région des Ouvrages Blancs).
Ton groupe n’a plus qu’une seule pièce en état de tirer. Chacune des batteries du groupe a perdu en tués et en blessés, un peu plus d’une vingtaine d’hommes chacune. Autant de camarades perdus, de vies brisées au front et à l’arrière. Morts pour la France : la liste interminable de leurs noms prendront place sur ce qu’on appellera des Monuments aux Morts.
Le 21, marche en avant ; les restes du groupe cantonnent à Blacy avec le 1er groupe.
La guerre prend un nouveau visage : la guerre de position. Tu es en Champagne. Ton groupe s’installe au Sud-Ouest d’Auberive. Les coffres sont à peu près vides ; ordre est donné d'économiser les munitions. L'ennemi paraissant ne plus bouger, des abris sont construits autour du matériel : huttes de paille, trous couverts avec les matériaux de démolition trouvés dans les villages. Quelques lignes téléphoniques à demeure sont installées, mais le téléphone Dedieu-Anglade, non prévu pour un semblable service, est très assujettissant pour le téléphoniste de garde. Des tableaux de fortune sont fabriqués par des canonniers ingénieux ; les fiches sont remplacées par des étuis de cartouches et des balles, les commutateurs par des clés de boîtes de sardines. Les hommes prennent l'habitude de se coucher à heure fixe et de manger régulièrement ; c'est une nouvelle physionomie de la guerre. Quelques alertes, la nuit, auxquelles vous ne pouvez répondre, n'ayant pas de munitions. Les fantassins ont des tranchées encore peu profondes, peu ou pas de boyaux pour les relier entre elles. Pas de liaison ; généralement une section ignore ce que fait sa voisine ; l'embryon de la liaison d'infanterie a du mal à naître et à vivre. Les premières pièces lourdes (155 court) sont amenées dans le secteur de Jonchery. Le lendemain, l'ennemi prononçant une attaque de nuit subit de lourdes pertes du fait des batteries de campagne et du tir de l'artillerie lourde. Ces attaques de nuit sont très impressionnantes : la nuit est brusquement troublée par des fusées éclairantes et toute nature ; des projecteurs balayent les lignes françaises et au crépitement de la fusillade se mêlent les sonneries de bugle et les hurlements des assaillants. Dans la journée, bien que tout en se dissimulant le plus possible, vous circulez ; quelques pauvres fantassins, tués depuis une quinzaine de jours et découverts dans les fossés, sont enterrés. L'Épine-Lambert et l'Épine-de-Vedegrange sont considérées comme très indiscrètes par les 1er et 2e groupes. A la fin de septembre, le 3e groupe prend position au nord-est de Baconnes. Au milieu d'octobre, les 1er et 2e groupes quittent Jonchery-sur-Suippe et vont relever des batteries installées près de Prosnes et au nord de Baconnes. Dans ce camp, en dehors des petits bois de sapins à forme géométrique, il n'existe rien capable de masquer le matériel. Canons et caissons sont installés sous des abris ayant extérieurement la forme de meules de paille. Des coupes sont faites dans les bois pour la construction des abris. Les observatoires sont aménagés pour y permettre un séjour prolongé. C'est un joli panorama que l'on découvre : mont Haut et mont SansNom, Casque et Têton, bois du Chien. De nombreuses fumées s'élevant au-dessus des sapins indiquent que, de son côté, l'ennemi s'est organisé. De part et d'autre vous posez des fils de fer. Les munitions manquant, vous tirez très peu ; le personnel arrange de son mieux les positions car l'hiver vient ; il faut lutter contre le froid et l'inondation. Les positions étant très boueuses par suite des ravitaillements, des pistes sont renforcées par des rondins. Peu de choses à signaler au début : la liaison d'infanterie s'organise ; un officier par groupe est détaché en permanence auprès de chaque chef de bataillon en première ligne. Le 14 novembre 1914, le colonel HECQ prend le commandement du régiment. En novembre, une attaque est montée pour s'emparer d'un saillant ennemi devant Jonchery : c'est l'attaque du bois B. Pour cette opération, quatre pièces de 75 doivent être amenées à 400 mètres des premières lignes pour exécuter des brèches dans le réseau allemand. Chaque pièce est commandée par un officier ou un adjudant ; les pelotons de pièce sont choisis avec soin parmi les servants sur lesquels on peut compter en toute circonstance. Des casemates sont construites dans les tranchées, vous élargissez les boyaux ; enfin, vous amenez les pièces. Il faut que l'ennemi ne se doute de rien ; dans le silence de la nuit, le moindre bruit trahirait la manœuvre. Dans la nuit noire et glaciale, sur un terrain boueux et détrempé, les pièces sont traînées à bras, les roues entourées de paille. Descendues dans les boyaux élargis, elles arrivent dans les casemates destinées à les recevoir. Les munitions sont amenées à bras par les servants et le tout est fait avec tant de silence et de calme que l'ennemi ne se doute de rien. Le matin de l'attaque, on essaie de déboucher les créneaux qui masquent les embrasures ; deux se retirent très facilement, mais deux autres, collés par la gelée, font corps avec les casemates. Les chefs de pièce et servants n'hésitent pas : bondissant hors de la tranchée, ils s'arment d'une pioche et, malgré le tir de mousqueterie violent dirigé contre eux, parviennent à retirer les panneaux. Le hasard veut qu'aucun de ces braves ne soit blessé. Le tir a lieu dans de bonnes conditions ; chaque pièce fait sa brèche, permettant ainsi aux fantassins d'atteindre la tranchée ennemie. La nuit venue, la manœuvre inverse de celle de la veille est exécutée : les pièces sont ramenées aux batteries au prix des mêmes difficultés, mais avec le même succès.
Le 24 décembre, l'attaque recommence, mais avec un peu plus d'ampleur que la dernière fois. Le 3e groupe, ton groupe, participe aux opérations. Les pièces sont encore amenées dans les tranchées avec pour mission de faire du harcèlement dans les boyaux pour empêcher les renforts d'arriver et interdire l'accès des lignes aux troupes de contre-attaque. Les brèches sont faites par les batteries placées à environ 1.200 mètres des lignes. Tout a été préparé d'avance : emplacements, liaisons téléphoniques. Le passage sur la Ain est difficile : il n'existe qu'un petit ponceau à demi défoncé pour franchir le ruisseau. L'obstacle est pourtant franchi, mais il reste 300 à 400 mètres à faire dans un terrain marécageux et quinze hommes ont peine à amener une pièce en position. Deux cents obus par pièce sont amenés par le même moyen aux abris à munitions. Une pluie froide tombe sans arrêt. L'attaque a lieu à 8 heures, après une préparation de trente minutes. Les batteries ne sont pas contrebattues. En dehors de ces attaques, les groupes n'exécutent que quelques tirs peu importants. A plusieurs reprises, les 3e et 4e groupes déclenchent une espèce de tir inventé depuis peu : le « tir d'épouvante », qui consiste à faire tirer à vitesse maxima le plus grand nombre de pièces pendant deux à trois minutes ; tirs dirigés sur des organisations importantes et sensibles de l'ennemi. Ce tir fut par la suite suivi à cinq minutes d'intervalle d'un deuxième tir analogue, pour détruire le personnel qui aurait occupé les tranchées par peur d'une attaque.
Au milieu de cet enfer, le 25 décembre 1914, terrassé par la fatigue physique et morale, tu es enterré vivant avec ton cheval dans un trou d’obus. Le bruit de la déflagration, la vibration de l’explosion qui transperce ton corps de part en part, les hennissements terrorisés de ton compagnon, le goût de la terre qui envahit ta bouche, ton nez, le manque d’air, la lumière qui n’est plus mais toute ta conscience qui t’offre le sourire de tes enfants et de ta femme qui t’attendent. La fatigue accumulée, la vision sans cesse des camarades tués, déchiquetés, mutilés, les yeux exorbités d’horreur, la chaleur, puis la pluie, la boue, le froid, la peur au ventre jour et nuit, les cris d’agonie des uns, les déflagrations sans cesse, les « tirs d’épouvantes »… Plus de bruit, plus de lumière, pendant combien de secondes, de minutes ?
C’est sans compter sur la solidarité sans faille de tes camarades, leur courage. Ils creusent la terre et t’extirpent de ta sépulture. Tu suffoques, tu tousses, tu craches la terre qui avait envahi ta bouche. Tu respires, l’air circule de nouveau dans tes bronches et te brûle. Te voilà de retour en Enfer.
Et ton Enfer, il va te coller à la peau jusqu’à ta mort….
Mais ta fiche militaire indique que tu n’es admis à l’Hôpital Militaire du Val de Grâce à Paris que le 5 septembre 1915, pour « mélancolie ». Mélancolie !!! Ils ne savent pas, les médecins, ce que tu as vécu. Ils n’ont aucune conscience du choc physique et émotionnel que tu as subi.
Si ton accident a eu lieu le 25 décembre 1914, et que tu n’es admis à l’hôpital que le 5 septembre 1915. Ou étais tu pendant ces 9 mois ?
N’ayant pas de blessures physiques évidentes comme un bras arraché, le visage emporté par un obus, les jambes sectionnées, les mains pantelantes au bout de tes bras, certains médecins refusaient d’envoyer les blessés comme toi dans des hôpitaux, loin à l’arrière des lignes.
Oui, Pierre Vachet explique : « un renvoi sur l’intérieur serait un encouragement sinon à la simulation, du moins à l’exagération ». Et Gilbert Ballet, qui n’a aucune expérience du front, soutient que tout est une question d’atmosphère et que celle « du voisinage immédiat du danger », avec sa « discipline rigoureuse » et ses « conditions sommaires de la vie matérielle » crée une ambiance des plus favorables à la guérison des troubles mentaux. C’est évident, qu’après un traumatisme comme le tien, être soigné sur la zone même des combats, quasiment sous les bombardements et le stress qu’ils provoquent, ne peut que te permettre de te rétablir dans les meilleures conditions dans des délais acceptables pour pouvoir au plus vite retourner aux combats !
En ce début septembre 1915, tu arrives enfin au Val de Grâce, tu fais le voyage qui t’évacue du front dans un wagon à portières closes et grillagées.
Le 7 septembre 1915, les médecins te transfèrent à l’Hôpital Militaire de Ville-Evrard puis, le 18 novembre 1915, à Maison-Blanche tout à côté. En même temps que toi, jour pour jour, le Docteur Maxime Laignel-Lavastine y prend ses fonctions de Chef de service. C’est l’un des plus grands hôpitaux militaires de la région. Il recevra plus de 12.000 amputés et plus de 11.000 confus et psychonévrosés dont tu fais partie.
Eh oui, comme toi plus de 100.000 hommes ont perdu pied, quelques jours, quelques heures, quelques mois ou comme toi pour toujours.
Et si l’on affiche sa compassion pour les héros meurtris dans leur chair, on en éprouve que peu, en revanche, pour les défaillants du cerveau. Pourtant vos cerveaux à tous sont Morts pour la France ! Vous ne serez jamais plus les mêmes, certains comme toi ne rentreront jamais dans leur foyer, laissant enfants, épouses dans le désarroi le plus total.
Le médecin aurait pu te préconiser une cure de repos : bains tièdes à 37°C, un bon lit pour dormir le plus longtemps possible, des massages, des exercices doux de gymnastique, une alimentation correcte…
Mais la quasi-totalité des neurologues pratiquent l’isolement des malades, pour éviter « la contamination psychique » et transforment les centres neurologiques en prisons. Le Docteur Maxime Laignel-Lavastine fait grillager jusqu’aux fenêtres du service de Maison-Blanche où tu te trouves. La cellule dans laquelle ils t’ont enfermé, est capitonnée, comme dans les asiles où l’on enferme les aliénés furieux.
Le 25 juillet 1916, la Commission de Réforme de la Seine te réforme une première fois pour démence précoce. Ils ont complété par : « affaiblissement de l’attention, indifférence, inactivité, isolement morbide, rires explosifs, vagues idées de persécution et hypocondriaques, troubles de la sensibilité générale ».
La Commission de réforme de Limoges te réformera une seconde fois, le 14 novembre 1916, pour les mêmes motifs.
Entre temps, Jean, qu'ont-ils fait pour tenter de te « soigner » ?
Toujours ce Docteur Laignel-Lavastine affirme que « l’usage de l’électricité (...) est un agent psychothérapeutique de tout premier ordre ». Le torpillage électrique figure en bonne place dans la thérapie des maladies mentales et les médecins le prônent sans honte pour rendre le plus rapidement possible des soldats à la patrie. Face à ces malades qu’ils ne comprennent pas, les médecins deviennent des bourreaux en blouse blanche. Ils vous, ils te considèrent comme un simulateur, comme « un impotent de la volonté » voire même comme « un prédisposé, un alcoolique, un syphilitique, un sujet à l’hérédité chargée, un faible qui serait de toute façon tombé malade dans la vie civile » ! C’est sûr, c’est parce que tu ne veux pas retourner au front, que tu ne guéris pas !
Ils n’ont aucune idée du choc traumatique que tu as vécu. Ils n’ont vraisemblablement pas été enterrés vivant de toute leur vie, ils ne savent pas quelles scènes horribles tes yeux ont vues…. Et pendant ces 4 mois, tentent-ils le tout pour le tout en t’infligeant leurs séances de torpillage ?
Comment pourrait-on croire que ce traitement de choc va te faire oublier ces longs mois d’horreurs, les cadavres de tes camarades, ou leurs corps et visages horriblement mutilés, te faire oublier que tu as été enseveli, vivant, sous une bonne couche de terre et que tu n’es sorti qu’in extrémis de ta tombe ?
Toute personne saine de corps et d’esprit deviendrait à son tour folle après un tel traitement, alors un homme perdu dans l’horreur de la guerre ? Tu ne pouvais que partir plus loin encore. Sous couvert de te soigner, ils t’infligent de violentes souffrances, ils te torturent.
Sais-tu, Jean, que ces bons médecins ne voulaient même pas admettre leur impuissance à vous guérir, leur méconnaissance de votre état et persuadés que vous étiez des petits malins qui avaient trouvé le bon filon pour rester éloignés du front, voulaient aussi vous priver de pension !?
La Société médico-psychologique propose même de regrouper les anormaux, les pervers, les débiles, les déséquilibrés mentaux dans des compagnies et de les envoyer à l’assaut ! Et si la troupe refuse d’avancer de les menacer de la mitrailleuse !
Voilà toute la compassion à laquelle toi et tes camarades avez eu droit.
Le 16 février 1917, le Préfet de la Creuse, se référant à l’arrêt de son confrère de la Seine, arrête que : de Ville-Evrard, tu seras transféré à l’asile Psychiatrique de Naugeat, près de Limoges, pour le compte du département de la Creuse et pour celui de ta commune de résidence où tu as conservé ton « domicile de secours ». Drôle de formule pour simplement dire qu’en temps normal tu y as un domicile et que ton épouse et tes enfants t’y attendent toujours ! Déjà 3 ans que tu es loin des tiens… Il charge les Directeurs des Asiles d’aliénés de Ville-Evrard et de Naugeat d’exécuter sa décision.
Ce même jour, le Docteur Rogues de Fursac, médecin en chef de Ville-Evrard, établit un certificat de situation afin de te transférer vers Naugeat. Il certifie que tu es atteint de démence précoce avec une agitation épisodique. Il indique que trois infirmiers sont nécessaires à ton transfert. Trois !
Le 10 mars 1917, tu sors de Ville-Evrard sous bonne garde. Fais-tu le voyage en train ? C’est la dernière fois que tu sens l’air frais sur ton visage. En fin de journée, tu arrives à Naugeat : placé d’office. Tu n’en sortiras plus. Ton Enfer se poursuit.
Le 11 mars 1917, Le Docteur Gourivaud confirme le diagnostic de démence précoce, établi par son confrère parisien et prescrit que tu es « à maintenir ».
Le 24 mars 1917, ton état n’a pas évolué, le médecin confirme qu’il faut te maintenir à l’asile. Il indique tu es atteint de troubles mentaux consécutifs à la dépression psychique avec replis anxieux.
Et les dates des ordres de maintenue vont se succéder ainsi tous les 6 mois en moyenne: 20 juillet 1917, 23 janvier 1918, 12 juillet 1918, 17 janvier 1919, 12 juillet 1919, 15 janvier 1920, 22 juillet 1920, 28 janvier 1921, 11 juillet 1921, 2 février 1929, 17 août 1929, 25 janvier 1930, 2 août 1930, 23 février 1931, 5 août 1931, 8 février 1932, 8 septembre 1932, 18 février 1933, 17 avril 1934, 26 septembre 1934, 22 mars 1935, 2 mars 1936, 22 mars 1937, 23 mars 1938.
Dans ce même temps, ton état mental ne va guère évoluer. En 1918, tu as des épisodes d’agitation violente. Les médecins qui se succèdent sont tous impuissants à apporter une quelconque amélioration à ton état. Tu vis un cauchemar éveillé, enfermé dans ta tête, revis-tu jour et nuit les horreurs du champ de bataille ? Continues-tu à te battre contre l’ennemi ? T’entend-on hurler d’effroi croyant que le feu ennemi fait rage au-dessus de ta tête ?
Le 25 novembre 1919, la guerre terminée, la commission de réforme de Limoges se réunit encore une fois et te propose une pension permanente à 100%.
Annette, ton épouse, perd espoir de te revoir un jour franchir de nouveau le seuil de votre foyer. Tes enfants grandissent : Anna a maintenant 17 ans, Léon 13 ans. Que vont-ils devenir ?
C’est ainsi que le 30 septembre 1923, elle se rend à la mairie. Selon la loi du 27 juillet 1917, sur les Pupilles de la Nation, et avec l’aide du Maire, elle dépose une requête en adoption par la Nation pour vos deux enfants. Requête qui est envoyée au Tribunal Civil d’Aubusson. Elle signe « Annette M.» d’une écriture un peu tremblante et demande à ne pas être convoquée au Tribunal pour l’audience.
Le procureur de la République, après s’être informé, de ton état et de l’endroit où tu te trouves, indique au Juge : « que ces mineurs ont droit en conséquence au titre de Pupille de la Nation (…) et requiert qu’il plaise au Tribunal de prononcer l’adoption par la Nation des deux mineurs ».
Le 14 novembre 1923, le Tribunal Civil d’Aubusson prononce l’adoption de tes enfants alors âgés de 17 et 13 ans, comme Pupilles de la Nation.
A partir de 1930, apparaît dans ton dossier la mention de « manie chronique ». Cela fait 15 ans que tu es parti de chez toi et 14 ans que ton seul univers est celui de l’asile.
En 1928, ta fille Anna se marie. Quelques mois plus tard, on enterre ton épouse, à l’âge de 52 ans. Elle s’est éteinte prématurément au petit matin du 1er novembre 1928. Elle t'a attendu, en vain, toutes ces années, elle a élevé, seule, vos deux enfants. Pour subvenir à leurs besoins elle avait ouvert une petite épicerie dans le bourg.
En 1937, ton fils Léon se marie à son tour, pudiquement sur son acte de mariage, à côté de ton nom, on peut lire seulement : « absent ».
De toi jamais on ne parlait vraiment. Une chape de silence s’est abattue sur les tiens. Dans aucun de ces actes, il n’est fait mention de l'endroit où tu te trouves, de l’état dans lequel tu es plongé. Par désespoir, par honte, les tiens se sont tus, ils ont dissimulé ton état réel. Pas par manque d’amour, simplement parce que la société, les « bien-pensants » le commandaient.
Tu es devenu grand-père en 1930 puis de nouveau en 1940.
Tu es absent à tous ces événements familiaux, 14 autres années vont se succéder et toujours sans aucune amélioration. Les médecins ne prennent même plus la peine de renseigner les changements survenus dans ton état mental ! A partir de mars 1938, ils ne prennent même plus la peine d’y indiquer les dates des ordres de maintenue….
D’autres folies se profilent à l’horizon, l’horreur de la guerre est de nouveau en marche. Les fous sont aux pouvoirs. Et toi, tu te meures au fin fond de ton asile.
Pourquoi Jean ?
Tout simplement parce que la vie des malades mentaux était considérée comme moindre, à la marge. Alors les produits alimentaires reçus par l’hospice de Naugeat comme dans quasiment tous les hospices de France sont insuffisants, les rations déséquilibrées pour nourrir les malades. Les médecins y vivent des scènes affreuses comme dans les camps de concentration, certains malades boivent leurs urines, mangent leurs selles, quand ils ne mangent pas leur propre doigt !
Les familles, quant à elles, enfermées dans leur douleur, emplies de honte, se taisent. Elles courbent l’échine et font confiance au corps médical et à son savoir. Ont-elles consciences des drames qui se jouent alors en France, dans les hôpitaux psychiatriques ?
Ainsi, entre 1940 et 1945, ce sont des dizaines de milliers de malades mentaux, 45.000 êtres humains affaiblis et totalement dépendants, qui sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français. Morts de faim et de froid. Directement ou indirectement car l’état de faiblesse des malades est propice au développement d’autres maladies, dont la plus fréquente : la tuberculose.
Tu t’éteins définitivement le 13 mai 1944, à l’âge de 64 ans. Dernière ironie du corps médical, la cause de ta mort est inscrite dans la colonne : « motif de la sortie pour guérison : Cachexie bacillaire ! »
Souffrant d’une dénutrition majeure, tu es atteint d’une tuberculose pulmonaire qui ne te laisse aucune chance.
Ton acte de décès tait ton calvaire, tes souffrances, l’état dans lequel tu es plongé depuis presque 30 ans, les raisons de ta vie en asile, les raisons de ta mort.
Ton « rire explosif » contient toutes tes colères contre tant d’horreurs, d’injustices, tant de mépris pour la vie des Hommes et des leurs. Les fous ne sont pas forcément ceux que l’on place d’office à l’asile et qu’on y oublie….
Mort dans l’indifférence.
Mort pour la France par deux fois, ton nom n’est pourtant pas porté sur le Monument aux Morts de ta commune.
Février 2018, Jean, aujourd’hui au service Réanimation d’un hôpital corrézien, ton petit-fils âgé de 78 ans comprend enfin pourquoi Noël n’avait pas la même saveur pour lui, pourquoi sa fille, ta mère, avait banni cette fête.
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MAUDITE SOIT LA GUERRE